samedi 8 mars 2008

Émotion et raisonnement

> ANALYSE

Sandra Carrasco est la fille aînée de l'ex conseiller municipal assassiné vendredi par l'ETA. Ce matin elle a eu la force de lire le communiqué de sa famille : portrait d'un militant courageux, rage contre les assassins ("lâches", "sans couilles" et "fils de pute"), mobilisation aux urnes et appel aux partis à ne pas récupérer la mort de son père.



Après l'émotion, reste une question : "À qui profitera le crime?". Il est entendu que le bénéficiaire collatéral, PSOE ou PP, n'aura rien à voir avec l'unique coupable, l'ETA, dont la responsabilité est plus évidente encore après la définition lunaire du meurtre ("une preuve de la recrudescence du conflit politique et armé" [es]) par Batasuna, sa vitrine illégale.

Tous les journalistes, espagnols et envoyés spéciaux, se posent cette question entre eux. Les têtes de listes fuient le tabou face aux caméras pendant que leurs équipes font leurs calculs dans la discrétion de les QG des partis politiques. Les autres citoyens discutent plus naturellement. Si vous trouvez la réflexion trop cynique, ne poursuivez pas votre lecture.

Voici quelques éléments à prendre en compte :

1) Il est probable que davantage d'électeurs aillent voter. Tous les partis l'ont demandé, Sandra aussi; mais surtout, l'ETA a demandé au contraire de s'abstenir. La réaction démocratique tripale devrait donc être de levantarse del sofá, de "se lever du canapé" pour aller jusqu'au collège électoral.
--> Lors des deux dernières élections générales, l'abstention a bénéficié au PP et la participation au PSOE. Depuis, beaucoup d'analystes considèrent que c'est une règle de fonctionnement. Parmi eux, les socialistes, qui font tout pour mobiliser en masse, et les populaires, qui freinent des quatre fers et le confessent à la presse internationale [en].
--> Mais nous avons déjà vu que la réalité historique était plus complexe, et que lorsque l'abstentionniste sort de sa torpeur, il a tendance a voter contre le gouvernement en place. En 2004, les abstentionnistes repentis ont contredit toutes les prédictions, et empêché, après un attentat -de tout autres dimensions- la reconduction du parti en place, auteur il est vrai d'une communication désastreuse.

2) La tentative de Zapatero d'une "fin dialoguée du terrorisme" n'a pas fonctionné. Tout le monde le savait depuis l'attentat à l'aéroport de Barajas; d'aucuns lui savaient gré d'avoir essayé, certains lui en voulaient d'avoir échoué, d'autres enfin considéraient impardonnable d'avoir "négocié" avec des terroristes.
--> Le dernier assassinat risque de renforcer dans leurs convictions les deux dernières catégories.

3) Isaías Carrasco était militant socialiste. Patxi López, le chef des socialistes basques, l'a répété : "dire que les socialistes trahissent les victimes est profondément injuste".
--> L'appartenance idéologique de la victime peut peut-être contrecarrer l'argument précédent.

Conclusion : les observateurs de la vie politique ne savent absolument pas ce qui va se passer. Mais ils utiliseront quelques uns des arguments résumés au-dessus (et signalés par une -->) pour expliquer a posteriori la victoire du PSOE ou celle du PP.

Si la droite gagne, les analystes ajouteront que les inquiétantes perspectives économiques ont poussé au changement de gouvernement. Si la gauche se maintient, ils expliqueront doctement que l'opinion publique espagnole s'est opposé à l'opposition belligérante de la droite. Je ferai peut-être la même chose, mais au moins, je ne vous prends pas en traître.

Aucun commentaire: